Date : samedi 11 octobre 2008 – Participants : 44 (dont 8 enfants) - Instigateur-Organisateur : Hans-Peter KOCH assisté d’André HEINRICH. Programme proposé : 14 h 45, rendez-vous au Restaurant Engel à D-Kappel/Grafenhausen : petit en-cas. Transfert par navettes vers l'embarcadère, au lieu-dit Saukopfbrücke, puis embarquement sur barques plates pour la descente (durée: l h 30) de la rivière principale de la Réserve (un Giessen), tout en méandres et eaux limpides, alimentées par la nappe phréatique (ici on parle de Brunnwasser voulant signifier eau de fontaine).
Après environ 8 km - à travers une impressionnante et luxuriante forêt-galerie ou le long de vastes prairies sèches - la visite se termine au débarcadère du lieu-dit Gifitsbrücke. C'est d'ailleurs ce cours d'eau (en réalité long d'environ 15 km) qui a donné le nom à la Réserve. Autre détail d'importance la plus grande partie de la Réserve du Taubergiessen est située en territoire français, sur le ban de la commune de F-Rhinau.
Une promenade de santé empruntera la digue des hautes-eaux puis retour (par navette) vers D-Kappel/Grafenhausen pour la visite guidée d'un ancien pressoir (moulin) à huile, au centre de la commune ; construit entièrement en bois de chêne, le pressoir, mû par traction animale, est toujours en service ; sur le linteau de la porte d'entrée, le millésime : 1627. Le repas fort convivial servi au Restaurant Engel clôturera ce bel et agréable après-midi d'automne vécu, à la satisfaction de tous, dans un des lieux les plus insolites de la plaine rhénane, un lieu à découvrir voire à redécouvrir, de préférence en mai-juin, la période de floraison des nombreuses espèces d'orchidées.
Le Rhin, cet inconnu ! Victor Hugo, ce génie sans frontières selon Baudelaire, écrivait dans la préface de son recueil Le Rhin (1839) que
« le Rhin est le fleuve dont tout le monde parle mais que personne n'étudie, que tout le monde visite et que personne ne connaît, qu'on voit en passant et qu'on oublie en courant, que tout regard effleure et qu'aucun esprit n'approfondit... »
Acceptez que je m'emploie, dans les lignes qui suivent à combler d'éventuelles lacunes ! Le Rhin - charnière de civilisations - a sa source à 2.342 m d'altitude en Suisse, dans les Grisons, au pied du versant N.E. du Saint-Gothard (la source du Rhône jaillit sur le versant opposé). Le long de son cours de 1.320 km, le Rhin baigne cinq pays : la Suisse (et la principauté de Lichtenstein), l'Autriche, l'Allemagne, la France et les Pays-Bas. Avec un bassin hydrographique versant de 224.000 km2 (dont 36.000 km2 en provenance des Alpes), il est le premier fleuve d'Europe occidentale.
Tributaire tout d'abord du Danube (Mer Noire), puis de la Saône et du Rhône (Mer Méditerranée), il envahit, au début du Quaternaire, le Rheingraben ou fossé rhénan, ce fossé d'effondrement alsatico-badois taillé, à la fin du Tertiaire, dans l'ancien socle primitif du massif hercynien, pour se diriger vers la Mer du Nord. Durant les glaciations successives du quaternaire dont la dernière (Wurm) s'achève voici plus de 12.000 ans, le fleuve avait déposé une quantité colossale de matériaux en provenance de ses affluents mais surtout du bassin versant des Alpes, leurs couches, entre Bâle et Mayence, atteignant une épaisseur de près de 200 m du fait de l'enfoncement continu (un mm/an) du fossé rhénan. Ces matériaux consti-tuent depuis cette époque la roche-réservoir de la puissante nappe phréatique rhénane, une des plus grandes nappes d'eau souterraines d'Europe occidentale ; entre Bâle et Mayence, le volume de cette nappe rhénane est estimé à environ 300 milliards de m3. Les eaux de ces rivières phréatiques se caractérisent par leur limpidité, leur grande fraicheur ainsi que par la faible variation de température tout au long de l'année. L'usage local les appele Brunnwasser, dont la traduction littérale signifie eau de fontaine.
Sauvage et capricieux, le Rhin a ainsi constitué de multiples bras divaguant dans la plaine d'Alsace-Bade, en déplaçant, au gré des crues annuelles (crues nivales) de vastes surfaces dénudées. Lors de ces grandes crues, le Rhin modifiait son cours ; c'est ainsi que, dans le Bas-Rhin, en 1541, lors d'une de ces crues, le Rhin se déporta vers le village badois de D-Kappel, la commune allemande en face de F-Rhinau, élargissant le territoire de cette commune alsacienne de près de 1.000 ha, d'un seul coup. Cette situation ne manqua pas, des centaines d'années durant, de provoquer des frictions et des complications administratives entre la France et l'Allemagne. Dans le territoire ainsi "rattaché" au ban communal de Rhinau se trouvait le bien nommé Taubergiessen, l'actuelle Réserve naturelle classée en 1979.
Pour protéger les zones soumises à des inondations, parfois catastrophiques, la construction, entre 1842 et 1876 - sur chaque rive du fleuve - de deux niveaux de digues (digues de correction, immédiatement au bord du cours d'eau + digues des hautes eaux ou digues d'inondation, bordant la première digue à 1 ou 2 km de distance), fut élaborée par l'ingénieur J.G. Tulla, directeur des Ponts et Chaussées badois, en application d'une convention binatio-nale signée le 5 avril 1840 entre le grand-duché de Bade et la France. La correction du Rhin, à hauteur du Taubergiessen démarrera en 1850 pour s'achever vers 1872. Ces travaux, s'ils portèrent leurs fruits en matière sécuritaire entraîneront cependant des effets pervers au niveau de la navigation. Pour pallier les inconvénients de la correction du Rhin, une opération de régularisation du fleuve (avec pose d'épis en aval de Strasbourg sur 170 km) sera entreprise dès 1911, avec un résultat relatif : le port de Bâle ne restant accessible que par hautes-eaux, la Suisse demanda que la régularisation du fleuve se poursuive de Strasbourg à Bâle. C'est en 1919 qu'un ingénieur mulhousien, René Koechlin, présenta le projet complet de construction du grand canal d'Alsace avec adjonction de six biefs équipés de centrales hydroélectriques : les deux derniers biefs (Gambsheim et Iffezheim) ont été construits respectivement en 1974 et 1977. Plus de 30.000 bateaux par an empruntent ce canal que longe une route ouverte au public. Depuis 1960, de nombreux bateaux-hôtels assurent - à la belle saison - un service régulier entre Bâle et Rotterdam et sur les autres voies navigables. Rappelons que la flotte commerciale du Rhin est la première du monde.
Depuis la convention de Mannheim de 1868, le Rhin est classé eaux internationales depuis le dernier pont de Bâle jusqu'à la mer du Nord, assurant ainsi à la Suisse le libre accès à la mer. La Commission Centrale pour la Navigation du Rhin, fondée en 1815 lors du Congrès de Vienne, a son siège à Strasbourg (Palais du Rhin) ; il s'agit de la plus ancienne organisation internationale. Mais toute médaille a son revers : correction, régularisation et canalisation du Rhin ont entraîné une baisse concomitante du niveau de la nappe phréatique et la suppression presque totale de toute possibilité d'épandage des crues (à haut pouvoir fertilisant) dans le milieu ; cette situation est, sans conteste, fortement dommageable, tant pour l'inestimable flore que pour la remarquable et riche faune, exceptionnellement riches dans ces milieux. Concernant plus particulièrement la Réserve naturelle du Taubergiessen, plusieurs objectifs pour la sauvegarde et le développement durable de cette zone alluviale rhénane ont été élaborés et présentés à la signature officielle de la Convention INTERREG III en avril 2006 à D-Kappel et ont obtenus dans l'intervalle l'agrément et le soutien financier de l'Union Européenne ; ces objectifs comprennent, entre autres : l'amélioration de la circulation de l'eau dans les giessen et le lit des principaux cours d'eau à l'intérieur des digues, la restauration de la dynamique des battements de niveaux d'eau, la réhabilitation (par désenvasement) des giessen dont celui du Taubergiessen, et d'une manière très générale, l'amélioration de la circulation de l'eau. Ce qu'il importe à présent, c'est d'assurer un transfert transfrontalier des connaissances ainsi qu'une coopération transfrontalière fructueuse entre les différentes communes et asso-ciations pour la protection de l'environnement. A cet égard, il est intéressant de mentionner la toute récente visite du site du Taubergiessen, le mercredi 17 septembre 2008, par M. Hubert Falco, secrétaire d'État à l'aménagement du territoire, en présence de Mme Danièle Meyer, maire de Rhinau et du président du Conseil Régional d'Alsace, M. Adrien Zeller. Le repré-sentant du Gouvernement tenait à voir in vivo un exemple de "coopération trans-frontalière réussie"; pour ce faire, il a traversé le Rhin sur le (fameux) bac de Rhinau et s'est fait expliquer, sur place, la nature des travaux qui ont permis la renaturation de la forêt du Taubergiessen : des vannes autorisent désormais les crues écologiques et la dépose des sédiments indispensables à la survie de la forêt rhénane, des bras morts ont été récurés et remis en eaux, des ponts reconstruits, des chemins balisés, etc. La coopération transfrontalière s'est faite d'autant plus facilement que la Réserve naturelle du Taubergiessen - en territoire allemand - est propriété (depuis 1541) de la commune de F-Rhinau ! Encore une particularité alsacienne !
Justement, Rhinau, tout comme l'ensemble de la bande rhénane revitalisée grâce à des financements transfrontaliers et européens, cultive l'esprit de coopération pour développer à présent des équipements de tourisme durable, le projet - s'appuyant sur l'Association Rhin Vivant - a d'ores et déjà été validé dans le cadre de la Convention INTERREG IV. Et si vous deviez vous aventurer dans les marches de l'Est, ne manquez pas d'inscrire dans votre programme la visite de la Réserve du Taubergiessen (de préférence en mai-juin), ce patrimoine naturel exceptionnel, ce joyau d'environnement préservé (cliquez ici pour voir la carte).
André HEINRICH